LES THEATRES DE L’ABSURDE DE PHILIPPE TYKOCZINSKI


Certes, Jarry avait sacré Ubu roi de Pologne, et au-delà du jeu de mots ou du rythme la phrase, sans soute trouvait-il en ce pays, un écho satisfaisant à son sens de la dérision, de l’absurde, et son goût du grotesque. Pour autant peut-on penser que l’atavisme polonais de Philippe Tykoczinski puisse expliquer qu’il ai fait de son œuvre picturale la scène multiforme d’un champ prospectif absurde et noir ; proposant des individus à la fois en mouvement et statiques ; aux lèvres qui rient dans des visages aux yeux tragiques ; en des attitudes très vivantes, mais des interrelations incontestablement mortifères ? Cette question reste en suspens, car l’artiste lui-même n’en a pas la réponse !

Pourtant, ce qui frappe de prime abord dans sa création, c’est la grand explosion de couleurs, les complémentarités et les oppositions des bleus crus qui s’enchevêtrent, des jaunes et des rouges sans nuances qui se chevauchent, des verts denses qui s’interposent : le tout « organisé au moyen de lourds cernes noirs séparatoires, lancés d’un grand geste spontané de la main : surlignant des personnages aux visages de clowns, aux gros yeux exorbités et brillants comme des yeux de fous !


Suscitant chez le spectateur amusement d’abord, puis perplexité voire agacement et malaise : par la façon dont, d’observateur il devient observé, car ces « gens » sembles lui rendre regard pour regard, du fon de leur désespoir qui, très vite, surgit au-delà de cette charge grotesque !

Toutefois, Philippe Tykocsinski, selon qu’il travaille sur toile ou sur papier, suit deux routes légèrement différentes : sur le papier, ses personnages sont plus directement caricaturaux, plus poches de la bande dessinée, en fait : ils louchent sans vergogne, agitent leurs oreilles immenses constellées d’étoiles, tirent insolemment la langue en montrant leurs dents énormes, sont par essence irrévérencieux ; et surtout, l’artiste leur laisse des fonds / espaces libératoires, leur donne un droit de vie, en somme, dont ils usent en s’appropriant des « images » d’objets usuels, calculettes, voitures, dés …

Mais au-delà de cette possession, ces choses – relations dérisoires avec l’extérieur – ne servent-elles pas à mesurer le temps qui s’écoule, essayer d’aller « ailleurs », jouer cette vie sur un coup de hasard, pour se heurter finalement, malgré les apparences, à l’impossibilité de changer ou de bouger. Car, en dépit des fonds évoqués plus haut : et bien qu’ils leur tournent délibérément le dos, ces êtres sont acculés à des grillages !




Les grillages, thème récurrent de l’œuvre de Philippe Tykoczinski décor obsessionnel présent dans toutes les toiles ; comme une façon de couper leurs racines peut-être, du monde sûrement, les personnages essentiels qui emplissent presque complètement le support ! Et c’est sans doute ce détail fait la différence avec les dessin : ici, pas d’espaces « vides », aucune respiration ; des êtres serrés les uns contre les autres ; comme empêchés de communiquer par le fait qu’ils sont souvent d’espèces différentes, dans des relations de force (biche / homme / morse / poisson aux dents gigantesques dans Faut manger ; homme / canard, etc.) ; et, s’ils sont similaires, homme / homme, quand par exemple Il faut défendre son but de football, ils ne se regardent jamais.

Par ailleurs, même quand ils apparaissent en situation de bien-être, allongés dans une « prairie » ou nonchalamment étendus sur une « plage », les voitures cascadant derrière eux sur la route, ou les yeux multiples des HLM voisines attestent qu’ils sont toujours des victimes de la société et non maîtres de leur destin. Ou encore, même lorsque l’un d’eux s’affuble d’une couronne, le milieu aquatique dans lequel il est manifestement plongé parmi des nautiles humanoïdes, donne implicitement les limites exiguës de son monde !

Car il s’agit bien, pour Philippe Tykoczinski, de générer un monde à lui, humain mais non réaliste, composé d’individus lévitant entre vie et mort : organisé sur des incertitudes par un artiste qui, outre celui de la couleur déjà évoqué, possède un talent inné de la composition et de la mise en scène. Qui créé de ce fait une œuvre majeure, aux vibrations chromatiques si fortes, aux charges de matières sir drues, qu’il s’en faut éloigner pour les percevoir toutes : un théâtre de la vide où se happent et se repoussent le grotesque et l’absurde : un univers dérangeant mais si puissant et évident que personne n’envisagerai d’en changer un trait de pinceau ou une trace de doigt !



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